SIXIEME PARTIE : Acarouany.
Cela va bientôt faire 2 ans que je suis parti en Guyane et je n’ai toujours pas fini mon récit de voyage !! Il y a du laisser-aller, ne trouvez-vous
pas?
Une envie de partir, de décompresser, de déconnecter? Que diriez-vous d’un séjour en symbiose avec mère nature, où les lianes s’entremêlent, où l’eau des rivières
est chaude, où l’on part cueillir une noix de coco le matin, où l’on pêche le midi et où l’on veille le soir à la lumière des bougies, bercé par le chant du léopard ? Cela vous va
comme programme, t’façon, tant que la Guyane est encore « chaude » dans ma mémoire, moi je raconte…
Le week-end arrive et la fatigue se fait sentir chez les patrons de la maison, un bon repos leur serait fort agréable, ni une ni deux, fin de matinée de ce
vendredi, le 4X4 se remplit (nickel ! ça rime). Bon le truc pas cool, c’est que c’est moi qui me tape le chien comme voisin dans le coffre... bah oui, on est quand même 10 dans la
voiture ! Nous rejoignons la famille avec qui nous ne décrochons plus et c’est parti pour de nouvelles aventures !! (Tadamm)
Le trajet s’étire un peu en durée et je commence à avoir des fourmis dans les pieds et le chien n’a pas encore fini de me saliver dessus ; nous déboulons
néanmoins dans une petite ferme rudimentaire où courent les poules sur la terre rouge, soulevant d’ocres nuages de poussière. Enfin j’étire mes jambes et respire le grand air frais (euh non, là
il fait très chaud), une petite maison construite sur des plans architecturaux mi-asiatiques mi-créoles trempe ses pieds dans l’eau d’un grand fleuve, une petite dame à l’âge vénérable sort à pas
prudents de la maisonnée, et nous regarde, joyeuse, de ses yeux bridés perdus dans les plis de l’âge. Derrière elle, un jeune homme asiatique, de petite taille et aux muscles saillants se
précipite à notre rencontre et glisse quelques mots français dans une langue aussi métissée que sa peau. Il est charmant et je comprends bien vite que nous sommes de précieux clients pour la
location de leur carbet, à une dizaine de kilomètres par le fleuve.
Durant l’arrangement de l’équilibre des affaires dans les pirogues ; la chienne baveuse communique sa joie de courir aux poules au point qu’une d’elle nous
fait un infarctus, la bête est réduite en torchons plumeux et ballote, impuissante dans les mâchoires de son agresseur. Le canidé est fort bien engueulé et monte, la tête basse, bouder dans la
pirogue prête à partir.
Le temps est radieux et les pirogues glissent indolentes sur un miroir brunâtre, un vent chaud court sur le lit du fleuve et l’ombre alléchante des grand arbres
nous nargue sous ce soleil de plomb. Ça et là, des fèves de cacao, grasses, se regardent dans l’eau, attendant de se faire cueillir ; le paysage est magnifique et le petit plus du
coin, c’est le relief, car la forêt manque souvent de relief et ici, la rive monte bien à deux ou trois mètres, on a l’impression de circuler dans une gorge tropicale et sinueuse.
Le jeune asiatique nous conduit avec un autre Mong. Les Mongs sont une minorité importante en Guyane, de provenance du Vietnam, ils sont venus s’installer ici pour
échapper aux horreurs de la guerre d’indépendance sévissant dans leur pays. Aujourd’hui, ils tiennent un grand nombre d’épiceries, d’alimentations ou bien, comme dans le cas présent, louent des
carbets. Nos deux guides avaient grand plaisir à discuter avec nous et nous racontaient, le gouvernail entre les mains, pleins de choses sur la rivière, la forêt…
Et là ; c’est la surprise dévoilée, le cadeau qu’on déballe, le rideau qui se lève : la découverte de notre logis ! IN-CROY-ABLE !
Spleeeeeeeendide ! Grav’ kiffant ! C’est chouette en fait.
Bon, le truc moins cool c’est que personne n’a pris de photos, trop béat peut-être donc accrochez-vous car je vais vous faire une sanglante description.
Nous venons de passer un coude du fleuve, la hauteur des arbres nous indique une petite crique encore cachée pour le moment. Le moteur de la pirogue finit en
decrescendo son mécanique monologue et l’embarcation perd de la vitesse ; les feuilles éparses de la végétation s’écartent et nous accostons au ponton de la crique, la forêt encadre le
terrain : cinq carbets grimpent sur un fort dénivelé de terre battue et s’imbriquent les uns derrières les autres, de tailles différentes. Leurs grandes poutres en beau bois foncé et
ternis par la chaleur sont fichées dans le sol et s’élancent vers le ciel, dessus, d’immenses toits de tôles ondulées prennent le soleil. Les arbres immenses de la forêt couvrent de leurs
ombres protectrices le lieu sylvestre, nous protégeant de l’effroyable chaleur qui pèse sur nos épaules et fait de nos cheveux un casque brulant. Des marches faites de planches tordues cloutées
avec difficulté et redressées avec talent assurent la cohésion entre les carbets et le magnifique aménagement aux abords du fleuve : un immense ponton de bois avec des grandes planches pour
accoster les pirogues, des avancées pour se baigner sans s’engluer dans la vase et le must of the must est un arbre de quatre mètres de haut recyclé en un grinçant et éprouvant plongeoir, de
l’une de ses branches pend une corde à la noble fonction de donner au touriste l’illusion qu’il peut égaler Tarzan et atterrir avec la majesté du pachyderme dans l’élément aqueux.
A peine installés, nous nous mettons en tenue de baignade et nous courons tous à l’eau !! On y a passé toute l’aprèm à vrai dire… On avait même un petit canoë
insubmersible avec nous.
En fin d’après-midi, bien crevés par tous nos exploits physiques, nous tentons une partie de pêche. On avait du fil, des plombs et des hameçons ; j’ai réussi à
monter quelques lignes de fortune en bricolant des bouchons et en utilisant des branches d’arbres inconnus. Le problème suivant fut celui de l’appât, d’habitude, je trouve des asticots dans des
glands et autres graines mais là…je suis complètement perdu dans cet endroit si différent ! Ni une, ni deux, je vais demander conseil aux jeunes Mongs, restés pour la longueur du séjour avec
nous. L’un d’eux me fait signe de le suivre et nous nous arrêtons prêt d’un arbre, en plein milieu du camp ; « maripa » me dit-il et je comprends qu’il s’agit du nom
vernaculaire de l’arbre. Il se baisse et saisit une grosse graine au sol, un peu plus grosse qu’une noix et de forme similaire, il dégaine sa machette et se met à tailler le fruit sec qui
cède facilement ; il retire avec délicatesse la coque noire et attrape un gros asticot bien gras, il doit bien faire 3cm ; il possède de petites mandibules broyeuses et sa
physionomie est proche de celle d’un coléoptère, mais l’heure n’est pas à la détermination (je regrette maintenant de ne pas avoir demandé de quel insecte il s’agissait) et je vais tout de suite
l’empaler sur mon hameçon et lance ma canne à l’eau.
En attendant que ça morde, je monte quatre autres lignes et pars chercher de quoi me faire des cannes dans la forêt et je m’éloigne un peu du camp… A proximité, la
forêt est un entretenue et les arbres sont espacés, en m’éloignant encore, je tombe sur quelque chose d’étrange et d’intrigant. Cela ressemble à un immense nid de je ne sais quoi, sa taille est
impressionnante, il monte à hauteur d’yeux sur environs 1m et sa largeur est supérieur au tronc de l’arbre (+50cm), cela ressemble un peu aux nids de termites arboricoles mais la taille est
vraiment supérieure. Je garde mes distances, imaginez qu’il s’agisse d’un nid d’abeilles ou de guêpes, leur nombre serait impressionnant !! Aucun signe de vie…je m’approche… arrivé à côté,
j’observe un peu mieux la structure de cette étrangeté. Ça couleur est un mélange de noir et de marron avec quelques stries plus claires, la forme est allongée et un peu évasée sur le haut, se
finissant en dôme. A première vue, on dirait du bois mais malgré de nombreux petits bourrelets, la surface reste lisse ; je colle mon oreille. J’entends quelque chose, ça bouge à
l’intérieur, comme des chuchotements, un grouillement d’insectes qui grattent, trépignent, courent en tous sens…Il y a donc de la vie ! Mais les hôtes de cette coque semblent timides ;
j’inspecte l’ensemble, à la recherche de sorties et d’ouverture : il y en a une seule, en haut du dôme mais je ne vois rien par ce trou. Ne voulant pas en rester là, je décide de faire
sortir ceux qui se cachent, m’attendant à tout.
Pour le moment mes hypothèses sont infinies, peut-être des fourmis, des termites, des abeilles, des guêpes mais dans tous ces cas là, j’aurais remarqué des allées
et venues, mais rien, personne n’est entré, personne n’est sorti. Bon… j’y vais ? Je cogne le dôme avec mon ongle, mes pichenettes, ne donnant pas de résultats, se font de plus en plus
violentes et la carcasse résonne avec un bruit sourd au rythme de mes petits coups. Je m’interromps, il y a de l’agitation, c’est même un sacré boucan maintenant, ça bourdonne, ça trépigne, ça
s’énerve méchamment !! Je commence à flipper un peu et prend du recul mais la curiosité m’empêche de courir, et là je vois des petites pattes qui sortent du dôme, des ailes, de très
nombreuses ailes, et des antennes et des corps au corsage serré et de gros abdomens rayés de blanc et de gris et à leur bout, un dard acéré !! Waaaaaaaaaaaaaaa des guèèèèèèèpes !!!!!!
Taioooooooooo !!!!!!!!! Je me barre, c’est bon, pas la peine de s’énerver, je m’en vais… j’m’excuse, ok ? Non ? Vous voulez mon goûter, de l’argent ? Euh… bon bah j’y vais là…
désolé hein ? Et là,…c’est le moment où je me suis mis à courir comme un dératé sur les 300m que j’avais fait au cœur de la forêt pour arriver au camp, soufflant comme un buffle, je les ais
semées !! (Trop dangereux la Guyane).
Après cette bonne poussée d’adrénaline, je retourne à ma ligne prêt à affronter la terreur de la rivière, plus rien ne
me fait peur maintenant. Au bout d’un long moment, très long moment, le bouchon coule, je ferre le poisson qui n’est pas plus gros qu’un gardon… plouf ! Dans
le seau. J’en ai eu une bonne demi-douzaine comme ça, de deux espèce différentes, une plutôt allongée, type carnassier avec une mâchoire de perche avec des couleurs dans les tons rouges foncés,
et l’autre, du genre perche aussi, mais moins fin se rapprochant de la perche-soleil de chez nous. J’en réserve deux pour la pêche au gros et m’en vais dépiauter les autres (je vous fais pas le
détail) et les mets dans de l’eau fraîche, en attendant le bon moment pour la cuisson.
La nuit tombe d’un coup et la forêt commence son chant intriguant. Dans une ambiance de fête, nous dînons autour d’une bonne quiche et célébrons notre brevet
récemment acquis au cidre (nous somme avec de purs Bretons, ne l’oublions pas). J’ai goûté le poisson, seul (personne n’en voulait, me d’mande pourquoi) et j’ai été déçu : de un, il y a
plein d’arêtes, de deux, il n’était pas assez cuit, de trois, c’était pas terrible… Faut toujours tester dans la vie, sinon on a jamais de surprises. C’est le ventre bien rempli et la tête lourde
d’une partie de Risk que nous allons rejoindre nos hamacs mais malgré la fatigue le sommeil avait du mal à venir car le jaguar hurlait à quelques centaines de mètres du campement !! C’est
pas vraiment rassurant mais c’est surtout des gros mitos parce qu’on ne l’a pas entendu, mais il est vrai qu’il y en avait un à proximité.
Après une bonne nuit réparatrice et un costaud petit dej’, nous sommes prêts à attaquer une nouvelle journée au milieu de l’enfer vert. Le
programme du matin fut le même que l’après-midi précédente, à savoir baignade et une petite remontée du fleuve en canoë insubmersible pour cueillir des fèves de cacao dans le projet de faire du
cacao.
L’après midi fut bien plus enrichissante, les Mongs, connaissant le coin comme leur poche, nous proposent une petite visite guidée de la forêt alentour en axant la
présentation sur les arbres. Le premier spécimen branchu digne d’être connu est le « bois vache », étrange comme nom… La particularité de cet arbre est la couleur de sa sève, blanche
comme le lait, qui coule abondante et gluante sous un coup de machette donné par le Mong sur le tronc. Cette substance est comestible après une préparation particulière car à l’état brut, ce
liquide est tellement dense qu’il se colle aux parois de la gorge et finit par boucher l’orifice respiratoire ; mais après ébullition, la sève du bois vache se boit comme du petit lait
(c’est le cas de le dire). L’arbre qui nous est présenté ensuite est l’awara, dont j’ai parlé dans le premier article, petit rappel : sa sève peut être utilisée en bouillon, et ses fruits
sont comestibles mais attention aux épines acérées ! Plantes suivantes : différents palmiers : on fait de magnifiques corbeilles à fruits avec la coque qui protège les graines du
premier ;
les noix de coco du suivant sont délicieuses… je n’ai pas tout retenu malheureusement mais en gros : en Guyane, on ne peux pas mourir de faim : quand on
voit des aventuriers qui croquent des mygales pour se remplir le ventre et bien il est clair qu’ils n’ont rien compris à la forêt vierge… il y a tout a portée de main !
Les différents arbres que nous croisons ensuite sont réputés pour l’essence rare et belle de leur bois, très prisée sur le marché du mobilier, certain arbres sont
même côtés en bourse tel le bois de rose, l’ébène vert, le moutouchi…
Notre guide nous présente ensuite en quoi la végétation peut servir pour communiquer avec une personne qui se trouve plus loin dans la forêt ; le premier petit
truc qu’il nous montre est comment faire un sifflet avec la tige d’une plante proche du roseau ou du bambou, la fabrication est rudimentaire et le bruit qui sort de l’instrument est puissant et
strident, on peut même varier le son en agissant sur l’écartement des deux petites anches qui composent l’objet.
Il existe un deuxième instrument autrefois utilisé dans la communication inter-tropicale ; il est… comment dire… un petit peu plus imposant que le
premier ; la largeur reste raisonnable, seulement 4 m de diamètre mais la hauteur dépasse de loin celle d’un saxo : a vu d’œil, je dirais 75-100 m, c’est pas facile d’évaluer
quand on ne voit pas l’autre bout… Bon, inutile de vous faire poiroter plus longtemps, vous avez bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un harmonica : mais d’un arbre !! L’arbre
cathédrale, un édifice végétal mondialement connu aux racines immenses et aux branches larges comme des troncs de chêne ! Les irrégularités de son tronc peuvent cacher un homme mais le plus
impressionnant n’est pas sa taille, mais le bruit qu’il produit quand on le cogne, un gros coup de branche à sa base et il résonne sur une fréquence basse sur une petite dizaine de kilomètres à
la ronde : tout à fait incroyable !
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La visite du règne végétal finit par un magnifique essai de liane, jouer à Tarzoun quoi ! Mine de rien elle peut supporter près d’une tonne, il n’y a pas
besoin non plus de balançoire en Guyane, elles sont déjà là.
Passons aux petites bêtes (vous croyez y réchapper ?) ! Le plus banal avant tout : la fourmi, la petite fourmi de 3 cm ! Elle est mignone, elle
est longue, elle a de belles mandibules, elle se ballade avec ses copine sur un tronc… et une morçure, seulement une morçure tétanise un membre sur une douzaine d’heures, sympatoch
l’insecte ! Mais il y a mieux, car quand elle mord, elle dégage une phéromone qui ameute la petite famille et au bout de trois piqûres, la grande faucheuse vient vous chercher, et oui, t’es
mort s’il y a trois pauvres fourmis qui te piquent, quand je vous disais que c’était dangereux la Guyane… Son petit nom : la fourmi flamande, non parce qu’elle vient de Flandres
mais parce que la piqure brûle comme une flamme.
Sur la ballade, un mignon petit crapaud feuille est venu nous dire bonjour, il porte vraiment bien son nom.
Puis nous croisons un nid de migale.
Mais les papillons me manquaient horriblement et avec l’humité ils se faisaient absents, du coup je voyais des lépidoptères partout : )
Malgré ce manque de la classe « insecta » la forêt a su m’étonner avec d’autre armes : quand je parlais de grosses lianes robustes, il en existe
aussi de très raffinées :
Le jeune mong nous a aussi montré un grand nombre de pièges qui peuvent servir pour attraper du petit ou du gros gibier, ayant aussi servi durant les différentes
guerres. Immobilisation, emprisonnement, empoisonnement, transpersion… Tous les moyens sont bons pour se nourrir ou se vêtir de peau de léopard. Je vous rassure : aujourd’hui, la
législation a interdit l’utilisation de tous ses pièges car la dispartition des gros mammifères se fait ressentir aussi ici…
Notre chemin était une boucle et nous retrouvons les carbets en cette fin de journée, nous profitons d’une dernière nuit sauvage puis, à contre cœur, retournons
vers le bitum, l’électronique, l’électrique, le bruit, la manufacture et le stress : vers la civilisation… (J’suis pas aussi anti-société moderne que ça^^ j’adore Mario Cart !)
Aroundel
SUITE DU VOYAGE