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Accéder à toutes les espèces

22 novembre 2015 7 22 /11 /novembre /2015 19:41

Carnet de voyage - Burundi

Partie 6

Critique

Question de mon frère : « Je viens de finir de lire ton dernier récit, encore très intéressant. Mais à chaque fois je me demande comment réagirait un Burundais à la lecture de ce journal, s'il ne te trouverait pas hautain, ou décevant, ou bienveillant, est-ce qu'il aurait envie de te lyncher pour ce jugement permanent ou alors réagirait très bien ? Je voulais savoir ce que tu en pensais !”

Alors... que penserait un Burundais lisant mon récit... à mon avis il le jugerait erroné, prétentieux, indiscret et terriblement européen (Je suis allé à un café-philo hier et le thème était: les rapports Muzungu-Barundi (Burundais) qui me permet d'alimenter ma vision critique de mon carnet de bord).

Globalement, les Burundais voient les muzungus comme étant, entres autres, des gens riches, fiables, de confiance, recherchant toujours à tout comprendre, ponctuels, leur paroles étant gage de vérités malgré le fait qu'il faudrait une vie à un blanc pour comprendre la substance et les subtilités de la culture burundaise, ils les voient aussi comme des gens qui épanchent leurs sentiments et leurs pensées sans retenue, qui aiment parler d'eux et qui, voulant converser selon des codes occidentaux, posent des questions toujours très gênantes. D’ailleurs les Burundais se demandent aussi si les blancs se lavent car ils mettent tellement de deo et de parfum que c’est louche. Le muzungu est aussi droit, travailleur, chic et distingué, fumeur, pense comprendre le conflit Hutu/Tutsi alors que pas du tout.

En gros dans mon récit, j'essaie de transcrire tout ce que je vois de la façon la plus vraie possible et l'analyse avec des codes occidentaux, donc parfaitement décalée avec la vision que pourrait avoir un Burundais local du Burundi. Mon carnet de bord serait perçu comme hautain et prétentieux car j'essaie de prendre de la distance sur tout lorsque j'écris, donc détaché des réalités physiques et des préoccupations quotidiennes d'un Burundais, qui sont impossibles à comprendre et où aucun mot ne semble convenir (sauf dans les méandres de la subtilité du kirundi).

Il faut savoir que les Burundais sont des gens très réservés, qui n'essaie pas de chercher la vérité et qui ne communiquent pas sur leur vision du monde, de le comprendre; un Burundais ne pourra par exemple jamais faire une enquête sociale quelconque auprès d'autres Burundais car le nombre de biais est incalculable, chacun essayant de se valoriser le plus possible et cela nous semble, pour nous, parfaitement incongru; anecdote personnelle sur ce point:, j'ai tenté de faire une petite enquête consommateurs sur le lait de soja (avec l'intermédiaire d'un traducteur Burundais) et l'une des questions était: est-ce que le lait est trop cher pour toi? Tous, sans exception, après l'offuscation produite par l’indiscrétion de cette question, répondaient "pas du tout, ce n’est vraiment pas cher!" pour ne pas perdre la face devant frère T. qui traduisait et valoriser leur statut social ou leur porte-monnaie: c'est justement frère T. qui m'a expliqué tout ça.

De plus la langue burundaise est emplie de subtilités, d’allégories et de métaphores et parfois même les Burundais ne se comprennent pas entre eux, chaque région ayant ses propres métaphores filées (l'élevage, le commerce, la pèche, la terre etc.). Et les burundais assument sans complexe que ce sont des menteurs et certains échanges prennent la forme d’un « je sais que tu sais que je sais que tu mens, mais on continue tous les deux à converser comme si de rien n’était ».

Par contre, un Burundais ayant côtoyé longtemps des occidentaux où ayant vécu en Europe, trouverait mon récit probablement très intéressant, mais le jugerait comme une ébauche sans subtilité, c’est d’ailleurs aussi un peu comme ça que je le vois, je n’arrive à transcrire qu’avec pâleur « ma tranche de Burundi ». L’avis d’une amie burundaise, après une lecture partielle de ce carnet, m’a plutôt surpris quant à ma vision des burundais : elle m’a simplement dit que l’on sentait que j’avais vu juste sur eux, leur nature, la culture, leur façon d’être mais que je prenais tous cela avec trop de pincettes au lieu de réellement dire ce qu’ « il fallait » : quand elle se met à parler des Burundais, elle est beaucoup plus incisive et crue tout en ajoutant « il faut que tu arrêtes de te sentir responsables d’eux (c’était un « tu » plutôt général), s’ils sont là où ils en sont, c’est à causes d’eux et de leur irresponsabilité! ». Il y a évidemment une part de vérité là-dedans, même une très grande part mais, cela n’est certainement pas absolue !

Le café-philo m'a aussi fait réaliser à quel point les complexes d'infériorité et de supériorité sont marqués des deux côtés. Et je fais partie de ceux qui ont le complexe de supériorité, car en partant, ma motivation était: "toute ma vie j'ai investi du temps, de l'effort, de l'argent dans mon éducation, mon apprentissage, je pense posséder un capital de savoir, etc. et je souhaite en faire bénéficier ceux qui ne l'on pas eu, arriver dans cet atelier et leur expliquer comment améliorer leurs produits, comment optimiser la production…" Si ça ce n’est pas prétentieux! Et tous les volontaires que je connais partagent cette dualité où l'on souhaite à la fois être à leur égal et construire dans le partage et où, en même temps, on a conscience de posséder un plus en terme de savoir et on va les faire profiter de ce savoir.

Et du côté Burundais, c'est le même délire à l'inverse, ils se disent "un blanc arrive, il va faire des miracles, on lui fait plein de courbettes parce qu'on le respecte et que l'on se sent inférieur, et à quoi bon faire des efforts vu qu'il va tout nous apporter". (Propos prononcés par un burundais lors du café-philo). A mon avis, seules des décennies de coopération et de partage pourront aplanir et égaliser les considérations, car en fait, à l'échelle de l'histoire, cela ne fait que très peu de temps que les blancs côtoient les burundais (1700 en gros, avec une discrète colonisation allemande ) et les bazungu et  barundi ne se côtoient au quotidien ou ne travaillent ensemble que depuis très peu de temps: une vingtaine d'années environ, c'est pour cela que les imaginaires et les mythes du blanc sont encore terriblement ancrés dans la population; on raconte encore dans les campagnes que le blanc viendra manger un enfant s'il n'est pas sage.

La position du serpent

Un homme du village m’a appris que si je vois un serpent, je dois me pencher, face au serpent et mettre chacune de mes mains sur mes genoux, les pieds bien écartés. Evidement intrigué par ce conseil et cherchant en vain la raison d’une telle position, est-ce pour intimider le serpent ou se montrer pacifique ou… je ne voyais pas et je quémandais une réponse. Alors, avec un grand sourire aux lèvres, l’homme me répondit : « pour empêcher tes genoux de trembler à cause de la peur » !

(Coupure d’eau depuis 15 jours, tout devient compliqué, je me lave avec une eau jaune qui sent l’essence)

Cinema Paradiso revisité

Je fus invité le 30 septembre au soir à une cérémonie bien particulière par frère T.. Il avait une maman qui était très malade, sur ses vieux jours, il l’installa donc dans un petit paradis sur terre de campagne burundaise non loin de Gitega (ou du moins, il en a fait un paradis), afin de la garder près de lui pour subvenir à ses besoins ; il demanda à son frère infirmier, au chômage, de venir vivre avec elle et de veiller sur elle. Il vint donc, accompagné de sa femme, et commencèrent à créer un foyer familial, son frère eut trois enfants. La demeure devint petit à petit un refuge pour de nombreux orphelins de père et un soutien pour les veuves, la communauté créée prenait un essor étonnant, les bâtiments furent agrandis, des caféiers, avocatiers et bananiers furent plantés, des parcelles de manioc, d’haricots et d’amarantes virent le jour, assurant un petit revenu à toutes ses femmes.

Puis la maman mourut et fut enterrée à côté de la maison, quelques année plus tard, le frère de T. décéda aussi, prématurément. Il fut enterré au côté de sa mère, et une grande pièce fut construite autour de ces deux tombes ; ces deux pertes annonçaient la fin de ce refuge de charité et laissèrent la belle-sœur dans une solitude désarmante en proie au désarroi et à la misère. Frère T. intervint alors, avec une humanité et une finesse  qui lui sont propres, cette bonté qui émane de lui rayonne en permanence et je n’éprouve qu’une infinie admiration à chaque fois qu’il se perd dans les récits de sa vie. Il est difficile de comprendre et de transcrire par quels moyens, quel génie humain il a su encore une fois relever ce petit monde perdu de son humble action mais ce soir-là, j’assistais au résultat.

Chaque dernier jour du mois, anniversaire mensuel de la mort de son frère, une soirée est organisée, rassemblant veuves et orphelins et le déroulement de ce rendez-vous suit toujours le même rite traditionnel. Tous se rassemblent autour des deux tombes et entament de longues prières en mémoire de tous les défunts qui furent chers. Les psalmodies à la lueur de la bougie étaient lancinantes, envoûtante, dans un kirundi monocorde, un à un, chaque adulte dit une longue prière et les enfants, nombreux, répondaient à l’unisson avec le même rythme lent et articulé. La scène avait des airs d’incantations et je souhaitais effacer ma présence de ce recueillement sacré où tous les cœurs étaient en harmonie sauf le mien et je fermais les yeux pour me laisser envahir par cette mélopée vibrante d’émotions.

Je ressortis presque transi de cette réunion et le charme que j’avais ressenti s’envolait comme un rêve au réveil et ce fut le moment des salutations (car nous étions arrivés en cours de route) ; salutations en kirundi dont je commence à maîtriser les codes, dans les gestes et dans les mots et celles-ci me valurent, au-delà de l’étonnement et des regards admiratifs, un accueil chaleureux et une « acceptation » dans le cercle communautaire, au lieu d’être « le muzungu »j’étais « le visiteur », d’autant que j’accompagnais frère T., et ce détail n’est pas des moindres.

Frère T. mit en route le groupe électrogène puis déballa tout son chargement : des rallonges, son ordinateur, des enceintes et un vidéo projecteur. La coutume était de projeter des films dans une grande salle jouxtant les tombes, choses remarquablement inouïes et extraordinaires dans une campagne où il n’existe ni électricité ni eau courante. A l’attention des enfants, il passa « la véritable histoire du petit chaperon rouge », en français mais les enfants passaient outre et se délectaient des images et réagissaient d’enthousiasme, de fous rires et de cris de surprise ; un spectacle qui n’est pas sans rappeler les débuts du cinéma. T. m’expliquait, à juste titre, que c’était le moyen de les ouvrir, de les amuser, de créer une atmosphère forte et cette joie créée touchait la communauté, l’aidait à supporter le quotidien peu évident. Ces rendez-vous de fin de mois étaient de plus un moyen à chaque fois de rassembler, de créer autour de sa belle-sœur et de ses neveux une sphère amicale et salvatrice et cela marchait, la solidarité, la tendresse et l’amitié soudaient tout ce petit monde et l’ex-maison familiale vivait d’un feu nouveau, vif et lumineux, les réunions des 30 du mois apportant le bois à ce feu.

Au cours du film, la bière de sorgho fut amenée dans un immense chaudron de terre cuite. La recette de la bière de sorgho m’a été décrite mais je n’ai su retenir sa complexité. L’hôte des lieux, la belle-sœur de T. me tendit en premier le chalumeau (traditionnelle paille en herbe des marais), je tentais dans mes remerciement et mon attitude de montrer que je réalisais l’honneur qui m’était fait et m’avança vers la marmite, frère T. et le vétéran du village, au visage doux et creusé de rides, m’accompagnèrent. Le breuvage était brun foncé, dense, tiède, presque chaud et sentait, aussi étonnant que cela paraisse, le sorgho à plein nez, je plongeai alors le chalumeau dans la bière et aspira, c’était doux et sucré, et coulait agréablement dans la gorge, comme une soupe épaisse légèrement alcoolisée  et j’avais plus l’impression de manger que de boire, la richesse en amidon et protéines me rassasièrent après une demi-douzaine de longues gorgées. Nous quittâmes de concert la marmite pour laisser la place à d’autres, à ce moment, T. me glissa à l’oreille « de coutume, quand l’ancien retire en premier son chalumeau, il faut sortir le sien en même temps »  sous la forme d’un doux reproche. Les quelques autres hommes présents suivirent puis ce fut la tournée des femmes et une fois que tous les adultes furent rassasiés, le reste de la bière fut versée dans des bols et distribuée aux enfants qui se délectaient, plus que de la bière, des bourbes de sorgho. Je connaissais le rituel et ne fis pas part à frère T. de ma désapprobation, certes culturelle, à voir des enfants de 4 ans boire de l’alcool, de toute manière, il la connaissait et comme pour me devancer il me dit que c’était très nourrissant et très peu alcoolisé.

Le premier dessin animé était terminé et T. enchaîna avec « La vie est Belle », je fus d’abord étonné par ce choix mais compris très vite : la langue est une barrière à la compréhension du scénario mais le personnage principal est très expressif dans ces gestes, dans ses mimiques (très italien !) et il y a énormément de comiques de situation qui reçurent les plus vives réactions et des rires à pleine gorge. Les Burundais sont des gens d’habitude très discrets et les voir réagir aussi vivement et franchement étonnait et quelque part, faisait plaisir. Je demandais à frère T. si la Shoa était « connue » au Burundi, dans les campagnes et il s’avère que non, tout ce que l’on sait c’est qu’il y a eu un homme très méchant qui a essayé de conquérir le monde. L’horreur des camps de concentration n’a pas touché la culture populaire burundaise mais l’équivalence avec les camps de rassemblement pendant la crise de 1993 qui a meurtri les Pays des Grands Lac est « évidente » ; frère T. qui expliquait un peu l’intrigue du film en kirundi ne fit volontairement pas le rapprochement, le traumatisme étant beaucoup trop proche.

Je fus convié à passer le reste de la soirée dans la maison de la belle-sœur ; sa fille (scolarisée à un niveau équivalent au CM2) était en train de travailler ses conjugaisons de français sur la table basse. Nous échangions quelques mots tout en dégustant un bon hydromel, fait à partir du miel des ruches situées derrière la maison. Elle me félicitait pour mon Kirundi (qui est pourtant très sommaire), en s’offusquant presque que les autres bazungu ne fassent aucun effort pour le parler et le comprendre, ce qui m’étonne un peu d’ailleurs car beaucoup d’expatriés que je fréquente s’essayent à la langue locale et leur niveau est bien meilleur que le mien.

Puis nous entamons le chemin du retour, l’on nous salua chaleureusement des trois embrassades coutumières avant de retraverser la ville de Gitega plongée dans l’obscurité et de rentrer à Karukona.

Cinquième Partie

Septième Partie

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